Luttes des étudiants comoriens pour l’indépendance de l’archipel fin 1960-début 1970 avec Ahmed OULEDI

RUBRIQUE: « ON A LU POUR VOUS  » Dhinouraine Hamada nous présentera régulièrement un ouvrage. Pour cette première, il a choisi « L’Association des stagiaires et étudiants des Comores (ASEC) par Ahmed Ouledi.

Par Dhinouraini HAMADA

​1975 est une année retenue aux Comores comme la fin du régime colonial et l’émancipation de sa population. Émancipation toutefois partielle puisque l’archipel, sa partie Est, demeure sous le joug colonial.

Il s’ensuit, à l’orée du cinquantième anniversaire de la période dite d’indépendance, des troubles socio-politiques qui minent la société comorienne. Les coups d’État sont monnaie courante, les interventions néocolonialistes françaises  ne sont plus à démontrer, la jeunesse, engluée dans une précarité intergénérationnelle, voit en l’exil une solution à court terme, la dictature fait corps avec l’État néocolonial. 

Simultanément, l’histoire et la mémoire de l’indépendance des Comores, tiraillées entre les partisans de la présence française à Mayotte – des petits fonctionnaires subalternes de première date cooptés aux « néo-soroda » ayant réussi à prendre un mandat de député aux élections législatives de 2022 dans une campagne électorale qui rappelle celle clientéliste des années 1970, les deux générations voient leurs intérêts dans la France – et les indépendantistes progressistes convaincus, bien que leur force se soit tarie aujourd’hui, sont à étudier.

L’histoire de l’indépendance des Comores, colonisée, est méconnue de la société, la mémoire quant à elle reste profondément manipulée à des fins idéologiques et politiques à Mayotte. Les hommes et les femmes, longtemps soumis à des degrés divers à la société coloniale, ont eu des sensibilités divergentes. Certain(e)s, plus ou moins conscientisé(e)s, ont été proches du colonisateur, tandis que d’autres, jeunes, politisé(e)s et galvanisé(e)s par ce qui se passe au niveau international, à savoir les antagonismes Ouest/Est et la troisième voie des pays récemment décolonisés, ont combattu avec solidarité le régime colonialiste instauré par les armes aux Comores.

L’histoire des luttes pour l’indépendance des Comores, enfin, doit être lue à l’aune de la guerre froide et des idéologies qui la sous-tendent. C’est ce à quoi s’attaque Ahmed Ouledi en publiant L’association des stagiaires et étudiants des Comores (ASEC), rêves et illusions d’une génération en 2012 afin de sortir de l’oubli ces luttes méconnues ou falsifiées, mais aussi d’en finir avec la manipulation des mémoires qui retarde l’unité nationale de l’archipel. 

Né à Moroni en 1957, Ahmed Ouledi, lui-même ancien membre de l’ASEC à la fin des années 1980, suit des études de médecine et soutient un doctorat de Santé publique et Sciences biomédicales à l’Université Paris VI Pierre et Marie Curie en 2003. Ancien Doyen de la Faculté des Sciences et Techniques de l’Université des Comores et militant de premier plan pour la préservation de l’environnement, il est le président de l’ONG Ulanga. Il est l’auteur, entre autres, de Les Comores au jour le jour, Chronologie et Abdou Bakari Boina, une figure emblématique du MOLINACO. 

ASEC : l’émergence d’une conscience révolutionnaire

La décolonisation tardive des Comores pousse les jeunes comoriens, partis étudiés en France, à s’organiser contre le régime colonial qui régit l’archipel. Épris de liberté, de justice sociale, d’émancipation des masses, de progrès, ils créent l’Association des Stagiaires et Étudiants Originaires des Comores en France (ASEOCF)  le 27 mars 1966, qui devient l’ASEC au début des années 1970 après les manifestations lycéennes de 1968 à Moroni. L’ASEC, mieux organisée et plus structurée, se radicalise, elle prône une ligne révolutionnaire lors de son 5e congrès dont l’idéologie repose sur l’anticolonialisme, l’anti-néocolonialisme et l’anti-impérialisme. 

Les militants de l’ASEC veulent que leurs idées révolutionnaires imprègnent les masses comoriennes. Ils créent leur propre journal Trait d’Union pour diffuser leurs idées contre le colonialisme français et les Comoriens corrompus qui le soutiennent. Ils attaquent violemment les déplacements de Pierre Messmer (ministre des départements et territoires d’outre-mer) et Michel Debré (député réunionnais et ancien Premier ministre du général de Gaulle), envoyés aux Comores par l’Élysée pour conquérir les âmes et préparer la balkanisation des Comores, en les qualifiant « de manœuvres dilatoires et de tentatives de replâtrage qui se cachent derrière les va-et-vient ». L’ASEC s’oppose à la balkanisation de l’archipel, veut l’indépendance des Comores dans l’unité, et se place derrière les Non-alignés sur la scène internationale.

L’influence des révolutions marxistes-léninistesinternationales

Dans un contexte de rivalité exacerbée entre l’Est et l’Ouest, de scissions à l’intérieur des régimes dits socialistes et de troisième voie tracée par les pays d’Asie et d’Afrique émancipés du joug colonial, les militant(e)s de l’ASEC ne sont pas resté(e)s insensibles à la tectonique de la géopolitique globale. Fréquentant les étudiants issus de l’empire colonial français en France métropolitaine, en particulier ceux de l’influente Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), l’ASEC, séduite par l’idéologie socialiste et anti-impérialiste, se place derrière la Chine de Mao, l’Albanie d’Enver Hoxha et le Parti communiste de Pol Pot.

Bien que l’URSS soit l’une des deux superpuissances (avec les USA), l’ASEC se méfie d’elle. Elle la qualifie d’agent de l’impérialisme qui se cache dans le manteau du communisme pour élargir sa sphère d’influence comme l’impérialisme occidental conduit sous la houlette des États-Unis. L’URSS et les États-Unis sont « les deux bouts d’un même bâton » dont l’objectif est « d’imposer leur domination au reste du monde ». La France, puissance colonialiste, impérialiste et capitaliste surclassée par les superpuissances, doit être combattue en tant « qu’ennemi principal du peuple comorien ».

En conclusion, l’ASEC, mue par un esprit de justice, de libération et d’égalité dans un archipel où les inégalités sociales défient le discours colonialiste du « fardeau de l’homme blanc », a cru profondément en ses rêves de progrès. Les espoirs de ses militants se sont heurtés aux contradictions propres à une société coloniale. Ils ont laissé derrière eux toutefois un héritage riche qui doit inspirer les jeunes chercheurs engagés, les militants et les politiques honnêtes qui croient en l’unité et à l’émancipation de la partie de l’archipel sous domination française, et à la construction d’une société prospère, véritablement souveraine, dans cette région d’Afrique orientale.

 

D.H.



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