Tandis que Mayotte traverse une crise sociale, doublée d’une insécurité galopante, votre média Al Comorya vous propose une série d’interviews de personnalités de l’île au lagon. L’objectif étant de permettre au public comorien d’entendre le point de vue des mahorais et comprendre les difficultés auxquelles ils sont confrontés et créer un espace de débats d’idées, de dialogue, entre les différents acteurs de la vie politique et la société civile d’une part et d’autre de l’archipel. Le conseiller départemental Abdoul Kamardine, président de la fédération LR à Mayotte, a eu l’amabilité de répondre à nos questions.

Al Comorya: Le Ministre Darmanin annonce une opération Wuambushu2, alors que la première a fini en queue de poisson. Que faut-il faire différemment pour rétablir la sécurité à Mayotte?
Abdoul Kamardine: Comme vous le savez Mayotte connaît un problème grave sur la sécurité. Il ne se passe un jour sans que l’île ne connaisse plusieurs actes crapuleux que ce soit des vols, viols, agressions physiques voire des assassinats. Cette situation n’est ni tenable ni acceptable. Partant de ce constat le gouvernement a décidé la mise en oeuvre de l’opération Wuambushu, qui consistait à remettre les choses en ordre en luttant contre la prolifération des bidonvilles, la lutte contre les bandes organisés et la maîtrise des flux migratoires.
Cependant cette opération mal préparée a été mal engagée au regard des obstacles qu’elle a rencontré sur son chemin, notamment côté justice où le tribunal de Mamoudzou avait ordonné sa suspension mais aussi au niveau même du gouvernement où Darmanin n’a pas eu le soutien total de ses collègues. A cela il faut ajouter les agissements du gouvernement comorien qui a bloqué l’accueil de ses ressortissants reconduits aux frontières. L’opération était à portée interministérielle mais seul le ministère de l’intérieur et des outre-mers était impliqué.
Cette situation a compromis toutes les chances de réussite de l’opération qui avait pourtant le soutien de la population et de la classe politique mahoraise.
Moi personnellement, je suis le premier élu du Conseil départemental à avoir lancé un appel à soutien à l’opération (voir les Nouvelles de Mayotte et France Mayotte matin du 12 avril 2023), appel qui a été entendu par mes collègues élus à travers la motion adoptée par le conseil départemental lors de sa séance du 13 avril 2023. Au final l’opération s’est traduite par des résultats mitigés dans tous les domaines sur lesquels elle a été engagée. Les mahorais ne se reconnaissent pas dans les statistiques des résultats établis par rapport au bilan de cette opération car leur quotidien n’a pas changé et surtout que la situation sécuritaire s’est dégradée.
L’opération Wuambushu 2 devra tenir compte de ce constat pour être bien mené. Les mahorais et leurs élus attendent surtout que l’ordre règne sur leur territoire. Nous attendons de cette opération que l’Etat consulte les élus mahorais sur les contours de sa mise en oeuvre afin d’éviter le fiasco vécu avec Wuambushu 1.

Le ministre a annoncé la suppression du droit du sol. Azali Assoumani et son gouvernement affirment qu’il s’agit là, de la preuve que Mayotte n’est pas vraiment française. Que leur répondez-vous?
La suppression du droit de sol à Mayotte est nécessaire car elle contribuera à atténuer le flux migratoire surtout pour les immigrés qui comptent avoir la nationalité française de leurs enfants nés sur le sol français de Mayote. Sur ce sujet chacun saura ce à quoi il faut s’attendre.
La suppression du droit du sol n’exclut en rien le caractère français de Mayotte, car comme vous le savez la constitution modifiée de la République française du 4 octobre 1958, permet des adaptations quant à la législation applicable en outre-mer que ce soit pour les collectivités relevant de l’article 73 ou de l’article 74.
Le gouvernement comorien ne doit donc pas s’autoriser, comme il a l’habitude de le faire, de détourner le débat en faisant croire à sa propre population que Mayotte n’est pas française mais comorienne. Cet argument ne tient pas la route car Mayotte est administrée dans le cadre des normes législatives et réglementaires relevant du droit français mais non du droit comorien.
Je trouve fort bien regrettable que le gouvernement comorien ne s’engage pas dans la voie de reconnaître in fine Mayotte française car telle est bien la réalité de cette île de l’océan indien.
On parle de la fin du titre de séjour territorialisé. Ne pensez vous pas, que si les comoriens apprennent qu’être régularisé à Mayotte permet de rejoindre Marseille cela va attirer encore plus de migrations?
Les titres de séjour délivrés à Mayotte ne permettent pas à leurs titulaires de se déplacer sur l’ensemble du territoire français. Alors que ce n’est pas le cas pour les autres territoires. Il y a ici un cas manifeste d’injustice à l’endroit d’une part de ces personnes qui voient leur liberté de circuler restreinte et au territoire de Mayotte qui subit une exception juridique non souhaitée par ses élus, d’autre part.
Aussi, il devient urgent d’en finir avec droit d’exception et de faire éviter à Mayotte une concentration d’une population qu’elle ne peut à la longue aspirer. L’île est trop petite et risque l’asphyxie. Il est d’intérêt que les étrangers habitant à Mayotte militent pour la fin de ce séjour territorialisé.
Je ne pense pas que la levée de ce séjour territorialisé va plus que ça augmenter le flux migratoire et ce surtout si les mesures sont prises pour renforcer les contrôles aux frontières. Et d’ailleurs, c’est à partir de ce dispositif que le renforcement des contrôles aux frontières seront plus visibles dès lors que les titulaires des titres de séjour de Mayotte pourront circuler librement sur le territoire français. Cette mesure est donc salutaire pour les mahorais.

La question de l’évolution statutaire est revenue dans le débat public à Mayotte et dans les outremers en général. Certains prônent l’autonomie, c’est le cas de La Guyane. Darmanin se dit opposé à l’autonomie à Mayotte, tout en y étant ouvert pour la Corse et les Antilles. Est ce que les mahorais ne s’accrochent pas à un statut de département devenu de plus en plus inadapté aux outremers? Quelle est votre position?
Les mahorais se sont exprimés le 29 mars 2009, à plus de 95% pour le département. Nous ne demandons pas autre chose que le respect de notre choix. Cela n’exclut pas que des adaptations soient opérées notamment pour renforcer le volet régional de nos institutions et disposer des moyens conséquent pour assurer son développement. Mayotte c’est la France !
Pensez-vous qu’il est possible de résoudre ce problème migratoire, sans une nouvelle approche pragmatique et une bonne entente entre les classes dirigeantes des deux côtés du lagon?
A l’évidence rien ne semble possible sans dialogue. Le travail du dialogue entre les Comores et Mayotte est nécessaire mais cela passe déjà par le respect de chaque entité du respect du choix de l’autre. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour Les Comores vis-à-vis de Mayotte. Dès l’instant que ceci n’est pas acquis la confiance ne peut être de mise. Et pourtant la logique voudrait que les Comores coopérent avec Mayotte dans un état d’esprit apaisé, dans la transparence en vue de garantir la bonne entente.
La partie mahoraise fait beaucoup d’effort dans ce domaine. Il reste à la partie comorienne de faire des efforts. Dès l’instant que le champ du dialogue est engagé dans la confiance et la transparence, il sera permis de croire à un règlement plus rapide des problèmes qui nous touchent tous ensemble, à commencer par la maîtrise des flux migratoires.
