
La reconnaissance implicite de la souveraineté française sur Mayotte par le Kenya, matérialisée par une visite officielle de son ministre des Affaires étrangères sur l’île et la signature d’accords avec les autorités françaises locales, a déclenché une onde de choc politique à Moroni. Entre condamnation officielle du gouvernement comorien et accusations virulentes de l’opposition, les réactions traduisent un profond malaise national autour de la question de Mayotte, à l’approche du cinquantenaire de l’indépendance des Comores.
Une indignation officielle mais mesurée

Dans un communiqué daté du 2 juin 2025, le ministère comorien des Affaires étrangères a exprimé son « indignation » face à la visite du Secrétaire d’État kényan aux Affaires étrangères à Mayotte le 31 mai dernier. Il fustige la signature d’un partenariat avec le préfet de Mayotte, qualifié d’« autorité de la puissance occupante ». Le gouvernement comorien souligne le caractère illégal de cette occupation, reconnue comme telle par l’ONU et l’Union africaine, et appelle le Kenya, pays historiquement allié, à reconsidérer sa position.
Cette prise de position reste timide et insiste sur le respect du droit international et les liens panafricains. La tonalité reste modérée et en décalage avec la gravité de l’acte hostile posée par Nairobi.
Naribarikishe Yi Komori : une dénonciation sans concession

À l’opposé, le mouvement d’opposition Naribarikishe Yi Komori accuse frontalement le gouvernement comorien de lâcheté politique et même de trahison nationale. Dans un communiqué virulent publié le 3 juin, il dénonce un silence complice face à la reconnaissance de Mayotte comme territoire français par le Kenya.
Le mouvement réclame la démission immédiate du ministre des Affaires étrangères et accuse le président Azali Assoumani d’avoir transformé la question de Mayotte en monnaie d’échange politique, l’utilisant à des fins personnelles. Naribarikishe appelle à une mobilisation populaire nationale pour défendre l’intégrité territoriale des Comores : « La dignité du peuple comorien n’est pas à vendre », conclut-il.
USHE : un angle panafricaniste et décolonial

Le parti USHE, dans un communiqué daté du 2 juin, adopte une posture plus idéologique, axée sur le rejet du néocolonialisme. Il accuse la France de tenter de normaliser son occupation illégale en impliquant des pays africains comme le Kenya dans des partenariats bilatéraux à Mayotte, qualifiés de stratégie de légitimation. Pour USHE, cette dynamique viole non seulement le droit international mais aussi les idéaux panafricains de solidarité et d’unité.
Le communiqué critique également le silence du Comité des Sept de l’Union africaine, chargé du dossier de Mayotte, et interpelle d’autres pays de la région, comme Madagascar et les Seychelles, ayant eux aussi signé des accords avec Mayotte. Il reproche enfin au président comorien de n’avoir jamais mis la question de Mayotte à l’agenda africain durant sa présidence tournante de l’UA.
Un front national fracturé, une diplomatie africaine sous tension
Ces trois réactions révèlent une fracture importante au sein de la scène politique comorienne. Tandis que le gouvernement cherche à ménager les formes diplomatiques avec le Kenya, deux partis d’opposition réclament une ligne dure et une diplomatie de rupture. Toutes convergent cependant sur un point : Mayotte est comorienne et le restera.
Cet épisode illustre aussi la complexité de la diplomatie africaine post-coloniale, où les intérêts économiques peuvent rapidement entrer en collision avec les idéaux panafricains de souveraineté et de solidarité. Alors que l’Union africaine a placé l’année 2025 sous le signe de la justice pour les peuples africains, la situation de Mayotte s’impose une nouvelle fois comme un test pour la cohérence et la crédibilité de l’organisation continentale.
À quelques semaines des célébrations du cinquantenaire de l’indépendance des Comores, la question de Mayotte revient au cœur du débat politique national. Entre diplomatie molle et opposition remontée à bloc, le pouvoir comorien se retrouve acculé, sommé de transformer son indignation en actions concrètes.
