
La récente visite d’une délégation kényane à Mayotte, conclue par la signature de plusieurs conventions de coopération économique, commerciale et institutionnelle, constitue un coup dur pour la diplomatie comorienne. Derrière les sourires et les poignées de main, ce déplacement officiel entérine de facto la reconnaissance par le Kenya du statut français de Mayotte, en totale contradiction avec les résolutions des Nations unies qui considèrent toujours l’île comme partie intégrante du territoire comorien.
Le Ministre kényan aux Affaires étrangères, Korir Sing’Oei et le Ministre Délégué français à la Francophonie et aux Partenariats internationaux, Thani Mohamed-Soilihi ont paraphé une série d’accords visant à renforcer les échanges entre le Kenya et le 101e département français. De l’allègement des normes douanières pour l’importation de produits kenyans, à la mise en place de passerelles économiques et culturelles, en passant par des projets de liaisons aériennes avec Kenya Airways, cette coopération bilatérale s’inscrit dans une logique assumée d’intégration régionale de Mayotte… comme entité française.
Ce partenariat fait voler en éclats le fragile équilibre diplomatique sur la question mahoraise. En prenant part à des accords directs avec Mayotte et en saluant de manière indirecte son ancrage dans la République française, le Kenya foule aux pieds les revendications historiques des Comores, pourtant soutenues depuis des décennies par l’ONU. Pour Moroni, c’est une humiliation publique et pour le gouvernement d’Azali Assoumani, une défaite diplomatique retentissante.
Pour comprendre la réaction du Kenya, il faut se souvenir la trahison d’ Azali Assoumani envers William Ruto. Lors de la course à la présidence de l’Union Africaine de 2023, le Kenya avait retiré sa candidature en faveur des Comores. Le président comorien avait déclaré à l’époque « Je tiens ainsi à saisir cette occasion pour exprimer notre gratitude envers le Kenya et plus particulièrement à Son Excellence, notre frère le Président William Ruto, qui a eu l’élégance et la bienveillance de retirer la candidature de son pays ». Lors de la célébration de la fête de l’indépendance des Comores le 6 juillet 2023, les présidents Azali Assoumani et William Ruto qui effectuait une visite officielle à Moroni, avaient réaffirmé les liens historiques entre leurs pays et signé un Accord général de coopération. Ils avaient annoncé la suppression réciproque des visas et le président Kenyan a offert des bourses aux étudiants comoriens
Mais lorsque le Kenya a eu besoin du soutien des Comores pour faire élire son candidat Raila Odinga à la présidence de la Commission de L’union Africaine, dans un geste d’une inélégance rare, Azali Assoumani a préféré soutenir Djibouti, favorisant ainsi son ami Mohamed El Amine Souef qui est devenu directeur de cabinet du candidat djiboutien.
Lorsque le Chef de l’Etat comorien a défendu fièrement l’intégrité territoriale des Comores, nous étions les premiers à applaudir des deux mains. Mais lorsqu’il favorise les intérêts personnels de son ami Amine Souef au-dessus des intérêts de la nation comorienne, en se mettant à dos un pays stratégique comme le Kenya Première puissance économique d’Afrique de l’Est, c’est une faute grave qui doit être condamné par tous.
D’autant que les conséquences étaient prévisibles. Lors de la campagne pour la présidence de la Commission de l’UA, nous avions alerté sur Al comorya sur les répercussions d’une telle trahison. L’opposant Kays Soilihi avait fait une déclaration vidéo le 27 août 2024 pour appeler solennellement le pouvoir comme l’opposition à soutenir le candidat Kenyan Raila Odinga. L’histoire lui donne aujourd’hui raison. Sa prise de position démontre qu’il a eu une clairvoyance en matière de géopolitique qui manque à la classe politique comorienne toutes tendances confondues.
La réaction comorienne sur la visite du ministre kenyan à Mayotte, se fait attendre, mais le silence devient de plus en plus pesant au sein de l’opinion nationale. Beaucoup dénoncent l’inaction d’un exécutif qui peine à défendre la souveraineté nationale sur un dossier aussi sensible.
Ces accords Kenya-Mayotte apparaissent d’autant plus préoccupants qu’ils interviennent dans un contexte où Mayotte, récemment frappée par le cyclone Chido, bénéficie d’un soutien renforcé de la part de l’État français de plusieurs milliards pour accélérer sa reconstruction, en s’appuyant désormais sur des partenaires de la région.
Cette dynamique tentera de renforcer l’intégration de Mayotte dans son environnement géopolitique en tant que territoire français à part entière, aux yeux de puissances africaines pourtant historiquement solidaires des Comores. La présence d’un agent officiel du Département de Mayotte au sein de l’ambassade de France à Nairobi courant 2025, symbolise cette nouvelle ère, où la diplomatie française s’emploie à inscrire Mayotte dans le concert des nations de la région, en marginalisant la position comorienne.
Moroni semble désemparée, spectatrice impuissante d’un processus de normalisation internationale du statut de Mayotte. Plus qu’un simple accord bilatéral, cette visite kényane marque un tournant car il brise un tabou. Sans une protestation vigoureuse de la diplomatie comorienne, d’autres pays de la région pourraient emboîter le pas au Kenya est reconnaître Mayotte française. C’est un échec cuisant pour la diplomatie du régime actuel.
