Alors que la pandémie de COVID-19 frappait de plein fouet les Comores, l’aide internationale promettait de renforcer un système de santé à bout de souffle. Quatre ans plus tard, un audit officiel révèle un constat glaçant : la majorité des fonds reçus n’a jamais servi à lutter contre le virus. Salaires, travaux routiers, loyers impayés… Au lieu de sauver des vies, l’argent a alimenté un système opaque et clientéliste.

Il y a des scandales qui font honte. Celui révélé par l’audit de la Cour des comptes sur l’utilisation des fonds du FMI pour la riposte COVID-19 aux Comores en fait partie. Alors que la pandémie menaçait des vies, alors que les hôpitaux manquaient de matériel, d’oxygène, de médicaments, que faisait l’État comorien ? Il utilisait l’aide internationale pour assurer son train de vie, payer ses salaires, acheter des véhicules et solder ses dettes.
Alors que la pandémie de COVID-19 frappait les Comores et mettait à genoux un système de santé déjà fragile, une aide financière exceptionnelle de 12,1 millions de dollars (environ 5,4 milliards de francs comoriens) avait été débloquée par le FMI pour soutenir la riposte sanitaire du pays. Quatre ans plus tard, cet audit révèle une réalité accablante. L’essentiel de ces fonds n’a jamais été utilisé pour lutter contre la pandémie.
Un détournement organisé sous couvert d’urgence.
L’analyse de la Cour des comptes est sans appel, à peine 8 % de l’aide a servi à financer des dépenses directement liées à la lutte contre le COVID-19. Le reste? Absorbé par des usages sans rapport avec la pandémie. 1,29 milliard FC pour payer des salaires de fonctionnaires. 455 millions FC pour des travaux de réhabilitation de tronçon de routes, comme Ikoni-Mwandzaza, dont la qualité laisse à désirer. 395 millions FC pour le paiement de loyers et d’arriérés de députés. 48 millions FC ont financé l’achat de véhicules pour l’escorte du gouvernorat. 34 millions FC pour la reconstruction de la prison de Koki. Une mesure qui répond plus aux exigences d’une politique répressive plutôt qu’à des considérations sanitaires. Ces quelques exemples illustrent les dépenses n’ayant aucun rapport avec la lutte contre le Covid-19.
Une gestion opaque et hors-la-loi.
L’audit pointe également un non-respect flagrant des dispositifs légaux. Les fonds auraient dû transiter par un compte spécifique “Riposte COVID-19” créé à cet effet, mais ils ont été versés sur le compte unique du Trésor. Sur plus de 5,4 milliards FC reçus, à peine 831 millions FC ont transité par le compte dédié.
La Cour souligne aussi que de nombreux marchés publics ont été conclus sans appels d’offres, par entente directe, en contradiction avec la législation.
Par exemple, un contrat de 661 millions FC a été attribué à la société MEMAM SARL pour la construction et l’équipement d’un centre d’imagerie médicale, sans procédure transparente. Bien que les équipements aient été livrés, le rapport d’exécution des travaux était toujours manquant lors du contrôle. Autre dérive, l’achat d’un amplificateur de brillance pour l’hôpital El-Maarouf, payé sur simple facture d’un médecin non-gérant d’entreprise.
Des sommes non justifiées.
Le rapport souligne aussi l’absence de pièces justificatives pour plusieurs dépenses. Des paiements ont été effectués en espèces sans signature des bénéficiaires et certains virements bancaires ne précisaient même pas les comptes de destination. Ceci n’est rien d’autres que de la corruption pure et simple.
Pendant que les Comoriens manquaient d’oxygène, certains encaissaient.
Cet audit montre que l’urgence sanitaire a servi de prétexte à un détournement systémique de fonds publics. Plutôt que d’acheter des masques, des vaccins, des appareils d’assistance respiratoire, des tests ou de renforcer les capacités hospitalières, le pouvoir en place a préféré solder ses arriérés budgétaires, satisfaire ses clientèles politiques et financer des travaux sans rapport avec la pandémie.
Au final, à l’hôpital de Samba Kuni et au CHR de Fomboni, Moheli, les malades mouraient sans soins adéquats pendant que l’Etat s’empiffrait. Une pensée pour cette fillette de 11 ans décédée dans la soirée du 5 février 2021 à l’hôpital de Mitsamihuli parce qu’il n’y avait plus d’oxygène. Le gouvernement a considéré que payer les arriérés des députés ou acheter des voitures de fonction, était plus urgent que sauver des vies comme la sienne.
Que Fakridinne Abdoulhalik, Omar Mouhsine et la centaine de victimes de cette pandémie, qui sont décédées dans nos hôpitaux mal équipés, reposent en paix.
Ce qu’a fait le gouvernement d’Azali Assoumani, n’est pas seulement une faute de gestion. C’est un crime moral contre la population. Malheureusement, face à cette situation, aucune enquête judiciaire n’a été ouverte, aucune sanction n’a été annoncée. Le gouvernement reste silencieux. La société civile s’indignera, sans conséquences. Quant aux partenaires internationaux, ils observent avec prudence.
Le FMI, par sa demande d’audit et la Cour des Comptes par son travail impartial, permettent de mettre en lumière des pratiques bien connues mais rarement documentées.
Reste à savoir si ce rapport restera lettre morte ou si des têtes tomberont et il sera enfin le point de départ d’une véritable politique d’assainissement des pratiques de l’administration publique aux Comores. Car sans Justice ni réformes profondes, d’autres aides, d’autres vies, continueront à être sacrifiées sur l’autel de l’impunité.
