Affaire Nassub Mohamed et la Banque Centrale: Entretien avec son avocate Faizat Said Bacar

Affaire Nassub Mohamed Youssouf contre la Banque Centrale. Cela fait 18 jours que l’ancien employé de la BCC est en garde à vue pour un emprunt non remboursé. Après avoir donné la parole à l’avocat de la BCC, Fahmi Said Ibrahim, nous nous sommes entretenu avec l’avocate de l’accusé Faizat Said Bacar.

Al Comorya : Cela fait 18 jours que votre client Nassub Mohamed a été arrêté, avez-vous eu la possibilité de le contacter, comment va-t-il ?
Faizat Said Bacar: malheureusement, je n’ai pas pu établir de contact direct avec Nassub Mohamed car le dossier n’a toujours pas été transmis à la justice et les avocats ne sont pas autorisés à assister leurs clients à la Gendarmerie.
Ses proches ont pu l’apercevoir brièvement à quelques occasions et m’ont rapporté qu’il semble tenir physiquement, mais moralement, il est anéanti. Nassub vit dans des conditions inhumaines, il dort à même le sol, parfois sur des chaises ou même une table, faute d’infrastructure adéquate. Il n’a pas accès à des infrastructures d’hygiène de base.
Il est extrêmement difficile, tant sur le plan physique que psychologique, pour un père de famille d’être isolé ainsi, loin de ses enfants, sans même pouvoir se défendre. Cette privation de liberté ne se limite pas à l’enfermer : elle le coupe de tout, de ses droits, de sa famille et de sa dignité.
Il est clair que cette détention prolongée l’affecte profondément, ce qui ne fait qu’ajouter aux injustices qu’il subit.


ALC: Savez-vous pour quels motifs exactement la Banque Centrale a-t-elle déposé plainte ?
FSB: La Banque Centrale affirme avoir déposé plainte pour « abus de confiance » depuis le 25 mars 2024 et mon client serait retenu en garde à vue dans le cadre d’une enquête préliminaire. Cependant, pour qu’il y ait abus de confiance, il faut qu’un détournement frauduleux soit prouvé, et il n’y a absolument aucun détournement dans cette affaire.
La Banque Centrale semble plutôt invoquer un défaut de remboursement de crédits accordés à Nassub dans le cadre d’un programme de prêt destiné à ses salariés, reprochant à mon client de ne pas avoir remboursé intégralement la somme restante après sa démission.
Dans ses interventions publiques, la Banque Centrale se présente volontiers comme un justiciable comme les autres qui use des moyens légaux à sa disposition pour défendre ses intérêts légitimes.
Pourtant, cette banque qui dispose de juristes expérimentés dans son personnel, a porté plainte en matière pénale alors qu’elle sait que le retard de remboursement d’une dette bancaire ne peut pas justifier des poursuites pénales et encore moins la détention d’un homme.
En outre, la Banque Centrale s’arroge unilatéralement le droit de décider que Nassub Mohamed doit rembourser immédiatement l’intégralité du crédit, alors qu’il disposait de plusieurs années pour le faire.
Ce n’est ni juste, ni légal. Une décision de justice aurait dû trancher cette question, ou alors, les conditions de remboursement anticipé auraient dû être spécifiées dans le contrat de crédit. D’ailleurs, malgré mes demandes datant de plusieurs mois, la Banque Centrale refuse de me fournir le contrat de crédit ou tout autre document signé par mon client contenant les conditions de ce crédit, ce qui pose de sérieuses questions sur la transparence de cette affaire.
En outre, la Banque Centrale prétend qu’elle entend seulement se faire rembourser des prêts, alors qu’en réalité, dans les sommes qu’elle réclame, elle a mélangé les montants des prêts avec des « indemnités » salariales qu’elle a fixées unilatéralement, toujours sans décision de justice.
Cette attitude est profondément choquant et arbitraire.
Ce qui est encore plus troublant, c’est que d’autres salariés ayant quitté la Banque Centrale avec un crédit en cours n’ont jamais subi de telles représailles. Pourquoi Nassub est-il le seul à être traité ainsi ? C’est une question cruciale à laquelle il faut répondre.


ALC: Pourquoi Nassub Mohamed a-t-il démissionné ?
Contrairement à ce que la Banque Centrale laisse entendre, Nassub n’a pas quitté son poste pour échapper à ses obligations financières. Au contraire, il a pris cette décision douloureuse après avoir subi un harcèlement constant et abusif sur son lieu de travail, au point que la situation était devenue insupportable pour lui.
Nassub est avant tout un père de famille qui a travaillé de nombreuses années à la Banque Centrale, assurant ainsi une stabilité financière et une couverture médicale pour sa famille. Ce n’est jamais de gaieté de cœur qu’on renonce à une telle sécurité. Mais le climat de travail toxique dans lequel il évoluait, marqué par des actes de harcèlement répétés, affectait non seulement sa dignité professionnelle, mais aussi sa vie personnelle. C’est ce qui l’a contraint à démissionner.
C’est pour ces mêmes motifs, qu’il a saisi la justice, plusieurs mois avant la plainte de la Banque Centrale, pour que justice soit faite sur ces questions. Ce n’est pas quelqu’un qui fuit ses responsabilités, mais une personne qui cherche à se défendre contre des pratiques injustes.

ALC: 18 jours de garde à vue pour un recouvrement de créances, c’est inédit. Les autorités lui reprochent-elles autre chose ?
FSB: 18 jours de détention pour une créance reconnue, sans procès ni preuves de fraude, c’est incompréhensible et totalement illégal. La loi comorienne limite la garde à vue à 24 heures, avec une prolongation possible de 24 heures dans des conditions très strictes.
Pour moi, il est évident que cette détention ne répond pas aux objectifs d’une garde-à-vue.
Déjà en août, Nassub avait été détenu pendant trois jours. Tout ce dont il a été question durant ses interrogatoires, qui n’ont duré que quelques minutes, c’est du crédit qu’il doit rembourser, un fait qu’il n’a jamais nié.
Aucune autre infraction ou accusation n’a été soulevée. Même chose pour la détention actuelle.
Pendant ces détentions, la Banque Centrale, échangeait avec la famille de mon client pour obtenir des engagements de paiement des sommes en question. Elle a donc sciemment profité de la pression subie par Nassub et ses proches du fait de la détention pour obtenir des engagements qu’elle ne pourrait pas obtenir autrement.
D’ailleurs, au cours de sa première détention en aout, Nassub n’avait été relâché qu’après avoir signé, à contre cœur, un engagement de remboursement pour des montants qui, déjà, excédaient ces capacités réelles de remboursement.

Lorsqu’il a été appelé pour se rendre à la Gendarmerie le 12 septembre, la première chose qu’on lui a dite, c’est que les paiements mensuels auxquels il s’était engagé étaient trop faibles et qu’il devait faire des propositions pour payer la totalité de la dette réclamée dans les plus brefs délais.
La preuve ultime que la Banque Centrale profite de la détention de mon client, c’est qu’au cours de sa détention actuelle, le Gouverneur de la Banque Centrale a remis à un proche de mon client un engagement déjà rédigé par la Banque et portant son en-tête, daté du 17 septembre 2024, afin que ce proche aille convaincre mon client de le signer.
Le document indiquait que Nassub doit rembourser en 3 mois la somme de 27 188 843 francs comoriens. La Banque Centrale sait que c’est impossible. A mon sens un tel document a pour seul objectif de fournir à la Banque Centrale un écrit qui justifierait qu’elle exige un remboursement anticipé d’une créance qui devait être remboursée sur plusieurs années.
Cela montre bien que cette détention est instrumentalisée par la Banque Centrale. Il est inadmissible qu’une institution financière profite d’une détention pour forcer le remboursement d’une dette.

ALC: Nassub avait déjà porté plainte contre la Banque Centrale pour harcèlement avant son arrestation. Par quel procédé la Banque Centrale harcelait-elle votre client ?
FSB: Nassub a saisi l’Inspecteur du Travail qui a transmis le dossier au Tribunal de Première Instance de Moroni. Il se plaint de faits de harcèlement, mais il conteste aussi les conditions d’octroi et de remboursement des crédits accordés et enfin, il réclame des salaires et indemnités impayés ainsi que la restitution de sommes que la Banque s’est permis de prélever sur son compte abusivement.
Le harcèlement que Nassub a subi est multiforme. Il a été régulièrement dénigré, notamment lors de réunions, parfois même en présence de personnes extérieures à la Banque Centrale. Ces comportements étaient humiliants et ont profondément affecté sa dignité.
Il a fait l’objet de sanctions injustifiées en violation de toute procédure, de privations de salaire, de rappels d’indemnités. Il a également subi divers prélèvements non autorisés, directement sur son compte bancaire tenu par la Banque, pour des montants que la Banque Centrale a elle-même décidés, sans préavis ni justification.
Juste un exemple : Nassub a bénéficié d’une prise en charge de frais de santé au même titre que tous les employés de la Banque Centrale. Ultérieurement, la Banque Centrale a prélevé de façon arbitraire les montants correspondants à ces prises en charge, directement sur le compte bancaire de Nassub, sans aucun fondement légal. Ce n’est que plusieurs mois plus tard que la Banque a adopté une « Note de service » essayant de justifier ce prélèvement abusif.
Ces actes n’ont pas seulement été des injustices professionnelles. Ils ont plongé Nassub et sa famille dans une précarité insupportable. Or ce n’est pas pour rien que notre Code du travail interdit à un employeur d’exiger, de lui-même, des dédommagements ou des sanctions pécuniaires.
Tous ces actes s’inscrivent dans un schéma de harcèlement destiné à le briser professionnellement et personnellement.

ALC: Selon la Banque Centrale, Nassub a démissionné de son poste et n’a jamais manifesté l’intention de rembourser sa dette. N’est-il pas en tort sur ce point ?

FSB: Mon client avait déjà saisi la justice afin qu’elle tranche, notamment, la question du montant et de l’exigibilité des crédits et de l’ensemble des sommes réclamées de part et d’autre. Dans le cadre de cette procédure, il a un avocat et la Banque aussi. Il n’y avait pas lieu que mon client s’approche de la Banque pour discuter de ces mêmes créances dont la justice est saisie.
Dans ses interventions, la Banque indique que mon client aurait disparu sans laisser de trace, qu’elle se serait « rapprochée du salarié » et fait « plusieurs tentatives de remboursement ».
C’est totalement faux. La Banque n’a jamais tenté de contacter mon client. Nassub a toujours été joignable à la même adresse et au même numéro de téléphone sur lequel les agents de la Banque ont toujours pu le joindre.
D’ailleurs, il s’est rendu volontairement à la Gendarmerie dès qu’il a été appelé par téléphone, d’abord en aout, puis en septembre avant d’y être retenu. Le matin de sa détention, il avait déposé ses enfants à l’école comme il le fait tous les jours depuis début septembre. Ce n’est pas le comportement d’une personne qui disparait sans laisser de trace.
De toutes façons, mon client a déjà saisi la justice. Il a engagé une procédure légale et la Banque Centrale aurait dû respecter cela, plutôt que d’essayer de régler cette affaire par l’intimidation.

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