L’avocat et opposant politique Maître Said Larifou a accordé un grand entretien à Al Comorya. L’occasion d’évoquer les dossiers brûlants de l’actualité comorienne, de la présidence de l’Union Africaine, à la situation des étudiants comoriens en Tunisie où il s’est rendu à leur secours, en passant par l’opération Wuambushu à Mayotte, sans oublier la politique intérieure, la désignation de Mohamed Ali Soilihi comme Chef de l’Opposition et la perspective des élections de 2024.

Vous revenez de Tunisie où vous êtes allé porter secours aux comoriens emprisonnés, quelle est la situation sur place et que pensez-vous de l’attitude des autorités comoriennes sur cette affaire?
SL: Depuis l’ élection du Colonel Azali Assoumani à la présidence de l’UA nous constatons un durcissement dans la manière de gouverner de certains pays du Continent et ce au regard de la personnalité du Président comorien qui ne porte pas la démocratie dans son cœur. La problématique migratoire africaine n’est pas un phénomène nouveau puisque, il faut le dire , plus de 40 millions d’africains se déplacent chaque année, pour des raisons diverses et variées principalement, non pas à l’extérieur, mais à l’intérieur du continent africain. La migration des subsahariens vers les pays Nord-Africains, est motivée par les possibilités d’y bénéficier des formations universitaires de haut niveau. Il y a aussi des formations des métiers très pointus qu’on ne trouve pas ailleurs sur le continent et le tourisme médical qui est un secteur très développé dans le Maghreb et en Tunisie en particulier. Pour s’en apercevoir il suffit de constater le taux de fréquentation des instituts ,des universités privées et les cliniques de ces pays , leur clientèle sont essentiellement des africains. Il y a aussi d’autres africains, y compris ceux d’Afrique du nord , qui fuient la misère et les régimes autoritaires et répressifs pour se rendre en Europe en passant par la Méditerranée étant donné que ce continent semble disposer l’attrait réel ou supposé de trouver des conditions de travail et de vie meilleure facilité par des organisations mafieuses.
Le Président tunisien dans ses dernières déclarations sur cette question migratoire a fait le choix volontaire de stigmatiser les subsahariens faisant volontairement le choix d’une immigration « contrôlée » en préférence aux arabes musulmans, limitant , ainsi de facto , l’accès sur le territoire tunisien à d’autres populations , notamment subsahariennes. Le principe de non discrimination à l’encontre des ressortissants des autres pays membres oblige les États membres de l’UA à n’exercer aucune discrimination à l’égard des ressortissants d’autres États membres entrant , résidant sur leur territoire fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’origine nationale ou sociale. Le Président tunisien ne peut sérieusement justifier sa déclaration de haine qui stigmatise en des termes extrêmement graves les subsahariens . Sans doute, sa déclaration a incité la population à commettre des violences et agressions contre ces derniers et aux forces de l’ordre à commettre des abus en
procédant à des arrestations et emprisonnements arbitraires des centaines de subsahariens pour séjour irrégulier sur leur continent.
La réaction de la Commission de l’UA est appropriée et légitime mais insuffisante au regard aux abus des pouvoirs publics et notamment des forces de l’ordre en particulier. Pour les réactions des autorités comoriennes , nous ne pouvons que constater le peu d’intérêt suscité par cette situation par le Gouvernement comorien et par le colonel Azali Assoumani Président en exercice de l’U.A qui ne se sont pas inquiétés des violences dont sont victimes des subsahariens en Tunisie alors que des gouvernements ont activement mobilisé des moyens humains et financiers pour louer des avions pour rapatrier leurs ressortissants à rentrer chez eux. Le Président de l’UA a trouvé facilement les moyens pour louer un avion afin de transporter ses partisans pour venir à Addis-Abeba et faire le tour des Comores célébrer son installation comme Président de l’UA. Déjà indifférent au drame qui endeuille en permanence depuis une décennie des familles comoriennes suite aux disparitions tragiques des jeunes qui tentent de traverser l’océan indien pour se rendre à Mayotte, en toute honnêteté, je ne m’attendais pas à ce que Azali exprime la moindre compassion, il n’en est pas capable .
L’Union des Comores a pris la présidence de l’UA, vous avez milité pour que cela n’arrive pas, pourquoi étiez vous contre et sous quelle forme continuera votre combat durant cette année de présidence comorienne?
Effectivement, un ensemble d’ONG dont Waraba Afrique se sont mobilisées pour faire barrage à l’élection d’Azali Assoumani au poste de Président de l’U.A en multipliant les interventions auprès de certains gouvernants africains, mais aussi en déposant une requête près de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples pour faire constater l’absence de légitimité d’Azali Assoumani et une autre devant la Commission Européenne aux fins de suspendre le financement à l’U.A et ce en vertu du principe de respect à l’état de droit et des règles de gouvernance démocratique prévues dans la charte de l’Union européenne et déjà appliquées à des Etats pour non respect de ces règles. Il nous parait incompatible pour les démocraties européennes de promouvoir par la parole et dans les actes les bonnes gouvernances partout dans le Monde quitte à mettre en place des règles et sanctions contraignantes et passer sous silence les manquements délibérés de certains Etats du Continent.
Malgré nos efforts , le colonel AZALI ASSOUMANI est désigné pour assurer la présidence de l’Union Africaine. Notre devoir maintenant est d’empêcher qu’il ne se sert pas de ses nouvelles fonctions pour légitimer les assassinats et les crimes économiques déjà commis sous sa responsabilité et commandement et en commettre d’autres . Nos organisations ne comptons donc pas en rester là et nous poursuivrons nos initiatives tant sur le territoire de l’Union des Comores qu’auprès des Institutions Internationales La demande préalable faite auprès de la Commission Européenne par nos organisations politiques et de la société civile africaines et européennes n’a toujours pas eu de suite , nous envisageons de saisir la Cour de Justice Européenne d’une requête pour se prononcer sur la légalité de l’aide financière accordée à l’Union Africaine étant donné que cette organisation africaine est présidée par une personne dont la gouvernance politique et économique est contraire aux valeurs de l’Union européenne rappelées dans sa charte. Azali et les siens ne peuvent se servir de la présidence de l’UA comme tremplin pour commettre un autre coup d’état électoral. Nous nous mobiliseront encore pour les mettre en échec.
Le journal le Monde a révélé que Macron était intervenu pour que le Kenya retire sa candidature, quelle lecture faites vous de cette intervention française? La diplomatie comorienne est-elle sous influence étrangère?
Le journal « Le Monde » d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier, c ‘est un média mainstream au même titre que BFMTV ou LCI. L’impartialité n’est plus d’actualité, mais il est à noter que la France du « tout en même temps » a, peut être, poussé le nouveau président Kényan à ne pas se présenter pour des motifs que nous ignorons mais pas pour longtemps. Compte tenu des bouleversements géopolitiques en cours en Afrique et dans le monde, il est urgent de doter notre pays d’une vraie politique étrangère soucieuse et très engagée à promouvoir notre beau
pays et a défendre réellement les intérêts des Comores et des comoriens partout dans le monde. La politique étrangère de mendicité, de déshonneur mise en place par les régimes successifs pour servir des intérêts autre que ceux de notre pays et des comoriens de l’Extérieur doit cesser . Certains, parmi ceux qui ont l’honneur de conduire la politique étrangère des Comores, n’ont pas défendu les intérêts
économiques, politiques et la souveraineté de notre État. Des soit disant diplomates, qui ne le sont en réalité que pour leurs intérêts personnels et de leurs réseaux et par leur haute trahison, ont bradé les Comores, ils l’ont trahi.
Comment expliquer que 47 ans après l’indépendance de notre pays, les
Comores ne dispose d’aucune structure ou institution d’État pour accompagner, assister et défendre, s’il y a lieu les 440.000 comoriens de l’extérieur, soit près de la moitié de la population comorienne. La politique étrangère d’un pays ne se limite pas à la réception des diplomates amis ni à assister à des forums, des assemblées et des conférences internationaux sans la moindre retombée pour notre pays.
Des prises de position et des décisions opportunistes et hasardeuses de notre politique étrangère sur des sujets et conflits géopolitiques manifestement étrangers aux préoccupations des Comores et des comoriens sont des preuves que certains ont volontairement desservi notre pays en faveur de leur carrière diplomatique, ils l’ont carrément vendu. Les comoriens paient le prix.
La politique étrangère comorienne doit être capable de nouer des relations débouchant sur des accords bilatéraux et stratégiques dans divers domaines de formation, culturel, économique, agricole et de santé. Jusqu’à présent nous n’avons pas réussi à trouver des solutions a la problématique de libre circulation des personnes entre notre pays et nos pays voisins et les pays membres de la ligue arabe. Depuis bientôt 50 ans que notre pays est indépendant, et malgré une forte présence de notre diaspora en France , nous n’avons pas signé d’accord avec l’ancienne puissance coloniale sur la libre circulation pour éviter les drames migratoires, notre pays n’est pas parvenu à signer des accords avec des universités étrangères des pays voisins et arabes, pour faciliter la formation de nos enfants dans les meilleurs établissements à l’étranger , l’absence d’accord avec des cliniques et des hôpitaux à l’étranger expose nos ressortissants à des risques d’escroquerie liée à des soins médicaux hasardeux lors de leurs déplacements à l’étranger.
Les médias mahorais parlent de l’opération Wuambushu que le gouvernement français veut mener à Mayotte contre la population comorienne des 3 iles considérés comme sans papiers. Ce vaste déplacement forcé de population est-il lié à l’appui français à l’UA?
J’aborde cette question liée à la crise de Mayotte avec responsabilité, nuance et fermeté d’abord, parce qu’elle a provoqué des drames qui endeuillent dans l’indifférence totale de la communauté internationale des milliers de familles comoriennes depuis l’instauration du visa Balladur. Ensuite, le contexte a changé. Les acteurs politiques en fonction aussi bien à Mayotte, en France et aux Comores ne sont pas les mêmes. Nous héritons une situation très complexe dont l’examen fait appel à l’esprit de nuance et à la modération sans pour autant compromettre les intérêts présents qui sont souvent antagonistes. Evidemment, dans le présent contexte géopolitique régional et africain en pleine recomposition, la France a plus intérêt à faire bon usage de ses leviers politiques et diplomatiques pour privilégier l’émergence d’un environnement favorable à un vrai dialogue entre les Iles de l’archipel des Comores.
Les causes de cette crise à Mayotte sont connues et les solutions pour y remédier ne sont pas militaires mais politiques. Ce n’est pas par plaisir que nos enfants fuient la misère, la dictature et les crimes d’État commis par celui qui est soutenu pour devenir le président de l’UA comme s’il fallait le faire pour discréditer davantage notre organisation panafricaine et anéantir l’espoir des peuples d’Afrique qui aspirent à une nouvelle vision de notre continent. Il est temps que les parties concernées par la crise à Mayotte prennent ce dossier au sérieux et qu’elles cessent de jouer au pompier pyromane. Il serait irresponsable pour ne pas dire criminel de continuer à utiliser cette crise comme tremplin politique alors qu’elle provoque des drames qui endeuillent des milliers de familles comoriennes. Cette fois , nous ne laisserons pas faire. Les responsables politiques chargés de ce dossier qui, par opportunisme politicien, démission et trahison font l’autruche en laissant ce drame perdurer, s’expliqueront et assumeront leur responsabilité.
La question que l’on est en droit de se la poser, pourquoi faire confiance à Azali Assoumani pou résoudre cet épineux problème de Mayotte alors qu’il est l’une des causes et qu’en 14 ans de pouvoir, il n’a jamais manifesté une réelle et sincère préoccupation sur les drames migratoires qui endeuillent nos familles. Sa politique consiste à laisser le champs à une immigration massive, hors contrôle et qui pourrait être encore plus tragique en cas d’affrontements avec les 700 militaires déployés a Mayotte par le ministre Darmanin. Il faudrait garder à l’esprit que pour un grand nombre de Comoriens , Mayotte est la 4eme ile de l’Union des Comores et de ce fait ils ne vont pas en terre inconnue et étrangère. En attendant de trouver une solution durable et pérenne, les dispositions prises par la France doivent, pour le moins, se conformer aux dispositions du droit humanitaire international. Nous observerons les faits et l’évolution de la situation de Mayotte avec la plus grande vigilance .
Une collaboration du gouvernement comorien contre ses propres citoyens sur un territoire comorien selon notre constitution, cela ne relèvera -t-il pas de la haute trahison?
La situation particulière des Comores est la preuve s’il en est qu’une gouvernance autoritaire, dictatoriale peut tout se permettre et ouvre des portes y compris celle de la présidence de l’UA. Détournement constitutionnel, privation des libertés, assassinats politiques, tortures, viol, pressions sur les acteurs de la société civile, expulsions du territoire de l’Union des Comores sont des faits avérés qui laissent les partenaires des Comores indifférents. Je ne sais pas le nombre des morts qu’il faudrait et le seuil a atteindre de la corruption et des détournements des fonds de la banque mondiale , du fonds monétaire international et d’autres institutions internationales pour les faire réagir. Comme si les crimes commis sous la responsabilité du colonel Azali Assoumani est une aubaine qui arrange du monde
.
Un pays dirigé d’une main de fer par un potentat qui ne souhaite pas quitter le pouvoir et créer une dynastie Azali pour lui succéder comme par le passé avec le Sultanat ne semble pas déranger certains qui s’abrite sur un confort en prétendant qu’il s’agit de la souveraineté internationale d’un pays faisant ainsi de ce concept un permis donné à un dictateur à tuer sa population.
Nous ne partageons pas la Vision véhiculée par nombre de Chefs d’Etas du continent ,qui , pour se maintenir au pouvoir , font des coups d’État constitutionnels en modifiant les constitutions de leur pays. Haute trahison oui . Mais donnons une valeur à ce terme. Le Président Sambi a été condamné à perpétuité pour Haute Trahison pour des passeports vendus à des tiers, est ce bien raisonnable?
La qualification des faits reprochés est importante et ne doit pas être selon l’humeur des uns et des autres à avoir une signification auto-adaptative. Lorsque Azali et son cousin Amine Souef , alors Ministre des affaires étrangères, décident en catimini de négocier sur le dos des comoriens une question essentielle et fondamentale liée à la souveraineté internationale des Comores sur l’île de Mayotte , ça une qualification non pas politique mais pénale. Seul le peuple comorien souverain est habilité à se prononcer sur les modalités d’exercice de sa souveraineté. Les Comoriens sont conscients et savent que Amine Souef est personnellement responsable de tout ce qui peut leur arriver à Mayotte .
Mohamed Ali Soilihi a été désigné Chef de l’Opposition. Est-il judicieux de mettre en avant cette personnalité que certains considèrent comme clivante?
Tout d’abord il y a des courant politiques qui s’opposent à la dictature du colonel AZALI Assoumani . Ces oppositions s’expriment au travers de mouvements et partis politiques constitués, d’associations diverses de la société civile.
Réduire à un seul l’opposition à Azali est simpliste et permet au pouvoir de mieux gérer cette dernière en faisant semblant de donner des gages démocratiques . Ce faisant, il muselle habillement l’expression contradictoire en laissant croire à un financement institutionnel de l opposition.
Une opposition clivante ou non doit être une opposition avec des arguments des propositions réalistes sujettes à confrontation et dialogique pour le bien de nos concitoyens. Notre pays est pris en otage par
Azali Assoumani et sa bande et seul le rassemblement des forces sur la base d’une action commune de libération de notre pays est crédible. Il est illusoire de parler d’élections présidentielles aux Comores conformes au minima au standard international alors que Azali Assoumani affiche publiquement son hostilité au droit et à la démocratie non seulement parce qu’il est arrivé au pouvoir suite à un coup d’Etat militaire mais en plus , lors d’une intervention sur une chaîne de télévision française , à l’occasion des élections présidentielles anticipées de mars 2019 , ll avait déclaré qu’il sera élu dès le premier tour et qu’il n’y aura pas et il n’y avait pas eu de second tour faute de moyens pour les financer. Et depuis son
coup d’État électoral de Mars 2019 , il y a eu pas moins de 30 assassinats politiques et autant d’opposants en prison et d’autres contraints à l’Exil.
Quelle est votre position sur les élections de 2024, faut-il participer ou boycotter? Certains opposants disent qu’ils participeront si les conditions sont réunies, pensez-vous que si le pouvoir fait des concessions, il tiendra ses promesses?
Pour l’heure, il est trop tôt pour se prononcer sur les avancées « démocratiques » d’Azali pour l’organisation des prochaines élections présidentielles.
Il pense que la présidence à l’Union Africaine lui servant de tremplin pour sa candidature comorienne faisant perdre à notre organisation panafricaine sa neutralité. Mais une erreur dans son parcours au sein de l’U.A. lui serait fatale
Ne nous méprenons pas sur les intentions d’Azali. Comme il le fait aujourd’hui , il fera en sorte de bloquer les institutions pour pouvoir réaliser son énième coup d’État électoral dès le 1er tour. Sauf si la communauté internationale intervient d’une manière forte et incontournable par des sanctions appropriées et un contrôle in-situ des bureaux de votes, des listes électorales et des dépouillements, comme l’a relevé le département d’État des États-Unis d’Amérique, dans le contexte actuel, il est impensable de parler d’élections libres et transparentes sous la présidence de Azali Assoumani.
Pour notre part, au sein du RIDJA, nous en débattrons et prendrons une position dans les semaines à venir. Si l’environnement sécuritaire, politique et les conditions d’une élection avec un minimum de transparence et de liberté s’y prêtent, l’opposition doit examiner en toute responsabilité les hypothèses et équations politiques les plus appropriées et crédibles pour mettre fin à ce régime qui fait tant de mal aux Comores. Les Comores est un pays qui est épris de paix, de tolérance et d’une population adorable, nous aspirons à la démocratie et la justice. Nous sommes fatigués de ces potentats, de la dictature et du clientélisme qui ont compromis des générations de comoriens et compromettent l’avenir de nos enfants et petits enfants.
Catégories :Infos & actu, Siasa
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